Retrouvez le discours du Président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Rudy Demotte, à l'occasion de la Fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles ce lundi 27 septembre.
"Mesdames et Messieurs,
En vos nombreux titres et encore plus nombreuses qualités,
Un grand merci tout d’abord au Maistre du Bourg de Bruxelles de nous accueillir en son Hostel de ville sans devoir nous expatrier comme nos collègues Flamands dans un jardin botanique voisin, pour cause de Covid. Cela nous permettra de venir babeler directement dans notre capitale.
Laissez-moi planter le décor.
Ceci n’est pas un jubilaire doit-on dire, au pays du surréalisme et de Magritte. Alors, puisque nous nous accordons bien sur ce fait, je vous dois une précision.
Je ne me présente pas aujourd’hui non plus face à un Tribunal du flagrant déni.
Mesdames et messieurs les juges de la cour suprême de Facebook, mesdames et messieurs les membres du jury d’Instagram, mesdames et messieurs les procureurs de tic toc, mesdames et messieurs les représentants des parties civiles de la télé-réalité.
Aux membres de la presse, je demanderai de ne prendre aucune image de l’accusée, elle n’a ni le droit à l’image ni au son. Le silence, vous dis-je.
J’interviens ce jour en qualité d’avocat de la défense, un peu sous les auspices de sainte Rita, ultime recours des causes perdues mais aujourd’hui davantage en référence à Saint Michel, cher à la ville de Bruxelles qui devrait nous permettre de terrasser nos démons.
Et oui. Ils sont nombreux nos démons intérieurs à nous, jubilaires francophones de Belgique, en tant qu’Institution atteignant ses 50 ans. Cet âge qu’on dit de raison. Cet âge qu’on qualifie de démon de midi.
Commençons par les chefs d’accusation. Et nommons le principal : la Communauté française fait aveu de pauvreté.
Nous, Communauté française de Belgique sommes nés pauvres.
Pire, Depuis 50 ans nous sommes restés pauvres, ce qui démontrerait une certaine propension à nous morfondre dans cet état.
Si ce n’était un drame, il prêterait à sourire de relever que, désargentés, nous nés au début de la décennie 70, marquant la fin des trente glorieuses, en 1971, précisément, l’année où l’étalon-or était abandonné à l’échelle planétaire. Était-ce un signe prémonitoire ?
Notre naissance se fait dans la décennie où le développement économique carbonné connaît ses premières crises énergétiques majeures et étaient annonciatrice de crises économiques combinant stagnation et inflation avant de donner lieu à des politiques d’austérité à répétition. Accablant.
Tout cela dans le sillage de notre naissance.
Autant dire que les cassandres auraient eu raison de crier au désastre.
Notre apparition en tant que Communauté, avait cependant ceci de beau et en même temps d’inquiétant.
Nous allions organiser l’exercice de compétences et un pouvoir n’attenant proprement pas à un territoire mais ancrées sur la personne humaine et son appartenance culturelle et linguistique.
Ce singulier principe, annonciateur d’une hybridation institutionnelle rendait dès l’abord, nos contours aussi étranges à la science politique que l’ornithorynque à la biologie.
Comment s’étonner qu’affublés de nos haillons, stigmates de notre précarité financière héritée de notre prime enfance, difformes au sens commun, plus personne ne semble assumer notre paternité.
Nous serions donc nés sous X.
Sans faire de longues recherches, l’ADN a très vite parlé. Les parents sont nés de part et d’autre de la frontière linguistique. Il semblerait même qu’ils soient cuisiniers.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’ils se sont spécialisés dans la lasagne et qu’à l’expérience, ils pensaient revisiter la recette pour en ôter quelques couches pour la rendre plus digeste. En fait, ils ont opté pour une pizza.
Quatre composantes subsisteraient donnant à une délicatesse revisitée portant le nom de «quattro regioni», sorte de symphonie gustative à la sauce Vivaldi, plus plaisante, tant à la vue qu’aux papilles. Tout cela, pour les fines bouches.
Il semblerait, à priori, que cela puisse plaire dans la mesure où les parties civiles y gagneraient en qualité et en prix. Les restaurateurs, eux, n’auraient -en ce cas- plus qu’à enfourner et cuire.
Hélas, la triste réalité de notre tambouille institutionnelle nous conduit à quelques réserves.
Un mot sur notre pauvre jubilaire, cette « couche de trop », La Communauté française. Ce niveau de pouvoir porte autre chose que des compétences en soi. Cette Communauté charrie les valeurs universelles portées par la langue française, langue de partage, d’ouverture au monde et de respect de la diversité. Elle est aussi la marque d’une unité des francophones de Belgique.
Soyons clairs, l’accusée reconnaît son indigence pécuniaire. Il est vrai qu’elle exerce ses compétences sans avoir le droit de gagner ses sous par elle-même. Ce sont les lois qui l’en privent. Les mêmes lois qui lui prêtent des dotations, la plaçant dans le rôle de l’éternelle assistée. Ah! Encore une assistée sociale.
Et pourtant, la culture, l’enseignement, les politiques de jeunesse, toutes ces matières qui sont le levain de nos générations, sont gourmandes -légitimement- en moyens.
Dans ce contexte, toute réforme permettant de répondre à ces besoins est opportune. Il serait donc malavisé de se voiler les yeux et se méprendre sur les enjeux.
Ce qui prime sur les égos, fussent-ils institutionnels, c’est la satisfaction des attentes citoyennes, singulièrement, lorsque celle-ci engage le long terme.
Une réflexion entre francophones sur ces enjeux est donc nécessaire. En qualité d’avocat de la défense, il me plait aussi à rappeler que l’enseignement et la culture doivent être examinés sous deux angles distincts: celui de leur organisation matérielle proprement dite, et celui de leur agencement normatif basé sur le patrimoine immatériel commun de notre langue française.
S’il est un socle de solidarité et d’unité entre les wallons et bruxellois francophones, même si nos identités sont complexes et multiples-surtout- dirai-je si elles sont complexes et multiples, s’il est un socle, c’est bien celui de notre fraternité dans la langue et ses valeurs.
J’écoute, attentivement, les divers plaidoyers pour la simplification, la simplicité. Mais ils ne doivent pas non plus succomber au simplisme. Une question parmi d’autres: la Flandre, elle-même serait-elle prête à renoncer à sa Communauté et à sa capitale?
Je ne doute pas que les discussions risquent d’être intéressantes. Et mon libre-arbitre me conduit toujours à m’inscrire dans toute démarche qui apporte un progrès et renforce la solidarité dans le même temps que la confiance démocratique.
Dans un monde binaire, du blanc et du noir, dans une dichotomie où tout semble si évident lorsque la parole du café du commerce l’emporte sur celle de la raison, faire une place à la nuance me semble justifié.
Non les institutions ne sont pas parfaites : elles ne le seront sans doute jamais. Comme tout corps vivant, elles doivent évoluer, s’adapter. Et pour cela, j’espère un dialogue constructif, portant sur ce qui peut être fait pour le mieux, s’inspirant non pas de l’intérêt des structures, mais bien plus de celui des gens qu’elles servent.
Comment, devant les enjeux majeurs du climat et de la biodiversité -en ce compris la survie même de notre espèce- ne pas mesurer l’ultime importance de l’école et de la culture dans les valeurs qu’elles charrient? C’est à ce titre que je conjure de ne pas négliger l’approche fédératrice de notre communauté de langue et de culture. En complément et en écho aux autres Communautés.
Ils sont nombreux à partager cette préoccupation et à s’engager. Il n’est pas un matin, comme aime tant à le souligner le Ministre-Président du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, où les membres de son Exécutif ne s’échinent pas dès potron-minet à leur tâches multiples et variées.
Je peux confesser qu’à l’heure où le Gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles, luttant contre les effets de la Covid, malgré son impécuniosité, a engagé avec courage, des moyens financiers au prix de l’endettement pour porter ces secteurs majeurs pour notre devenir. Notre Institution recèle d’une richesse indémontrable en termes budgétaires, celle de ces valeurs qui ne se monétisent pas. Les valeurs qui font notre fierté d’être les héritiers des Diderot, d’Alembert, Verlaine, Char, Vigneault, Brel, Beaucarne…. Et tant d’autres.
Oui, nous fêtons 50 ans, soit dix lustres, ce furent des années d’un sempiternel combat de survie. Souvent dans la douleur. Mais sans être un comte de fée, loin de là, ce jubilaire nous rappelle un dialogue entre Alice et le lapin dans le compte de Lewis Carroll. « Si tu ne t’aimes pas au moins un peu, si tu ne crées pas une coquille d’amour-propre (…), les fléchettes envenimées des autres deviendront mortelles et te détruiront. »
Puissions, nous très honorables membres de cette assemblée, nous rappeler ces mots en nous félicitant d’être les chantres de valeurs fortes et fiers d’être dans notre singularité de wallons et de bruxellois, attachés à notre magnifique Communauté de langue.
Vive le français.
Vive la Fédération Wallonie-Bruxelles."