Rudy Demotte, président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, salue la mémoire de Mme Antoinette Spaak, ministre d’État et ancienne présidente du Parlement de la Communauté française.
"C’est avec émotion et tristesse que j’ai appris ce jour le décès de cette grande femme politique qu’était Antoinette Spaak. Son parcours politique remarquable et son combat politique en faveur de l’idéal européen sont reconnus de tous. Avec sa disparition, c’est aussi la francophonie qui perd une grande figure et une défenderesse déterminée.
Le parlement, dont elle fut la présidente de 1988 à 1992, lui rendra un hommage solennel ce jeudi 3 septembre".
Discours d'hommage prononcé par Rudy Demotte, président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en séance plénière le jeudi 3 septembre 2020
Mesdames et Messieurs,
Nous avons appris avec beaucoup d’émotion la disparition d’Antoinette Spaak. C’est une grande figure de la politique belge, francophone et bruxelloise qui nous a ainsi quittés à l’âge de 92 ans.
Née à Etterbeek le 27 juin 1928, Antoinette Spaak est issue, comme chacun sait, d’une famille illustre, l’une de celle qui contribue à bâtir une grande histoire à un pays, une famille que la seconde guerre mondiale va tourmenter, laquelle fera éclore chez cette grande dame l’amour de la démocratie et l’horreur des dictatures et des extrémismes : elle est la fille de Paul-Henri Spaak, ancien Premier ministre et secrétaire général de l'Otan, petite-fille de la première sénatrice belge Marie Janson et de Paul Spaak, dramaturge et directeur du Théâtre royal de la Monnaie.
Antoinette Spaak possédait cet ADN familial, nourri de politique, de culture créatrice et artistique. Au journaliste de La Libre Belgique Francis Van De Woestyne qui lui a consacré un ouvrage d’entretien en 2016, elle confiait son sentiment d’être issue d’une famille « privilégiée », non pas au sens matériel du terme, mais de par la vie culturelle, intellectuelle et politique qu’elle menait.
C’est peu après le décès de son célèbre père que Lucien Outers, cofondateur du FDF, le parti que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Défi, lui propose de figurer sur la liste des élections législatives de mars 1974. Ce premier essai se révèle un coup de maître : elle est élue députée et dirige le parti trois ans plus tard, faisant d’elle la première femme présidente d’une formation politique belge. Cette responsabilité inédite est lourde à porter et lui vaut de nombreuses moqueries et autres remarques négatives que cette féministe convaincue surmonte avec panache, sans compter qu’avec Lucien Outers et André Lagasse, elle forme désormais un véritable « triangle de fer » de la lutte francophone.
Durant cette période, ses capacités de négociations font merveille. Sa loyauté séduit André Cools, mais aussi et c’est certainement plus surprenant Hugo Schiltz, le président de la Volksunie, qu’elle dépeint à Francis Van De Woestyne comme « un homme extraordinairement intelligent qui avait l’imagination de l’avenir, avec une vraie vision des rapports futurs entre les communautés ».
Mme Spaak est ensuite élue députée européenne de 1979 à 1984 et de 1994 à 1999, ce qui fut l’occasion pour elle d’entretenir une amitié durable avec Simone Veil.
Le roi Baudouin lui octroie, en 1983, le titre honorifique de ministre d'État.
Du 2 février 1988 au 6 janvier 1992, elle assure avec conviction et un grand sens des responsabilités, la présidence de notre assemblée que l’on appelait alors « conseil de la Communauté française de Belgique ». Siégeant ici de 1974 à 1994, elle s’investit sans compter, plus que quiconque, dans les grandes thématiques et compétences francophones. Que l’on en juge : présidente de la commission des Affaires générales en 1988 et 1989, présidente de la commission de l'Enseignement, de la Formation et de la Recherche de 1989 à 1992, présidente de la commission de la Culture, de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme en 1993 et 1994, présidente des différentes commissions de coopération avec les régions de 1988 à 1992, secrétaire de la commission de Coopération entre la Communauté française et la Région wallonne en 1985 et 1986 et encore vice-présidente de la commission de la Famille et de l'Aide sociale de 1986 à 1988.
Elle ne considère alors absolument pas sa présidence comme un poste honorifique et travaille en étroite collaboration avec Valmy Féaux, le président du gouvernement de la Communauté qu’elle qualifie « d’engagé et de vrai communautaire ». Dans l’ouvrage de M. Van De Woestyne, elle explique son souci permanent de – je cite : « donner à l’extérieur une meilleure perception de l’importance de l’institution parlementaire dans une Belgique divisée ».
Son dynamisme ne s’épuise jamais. Antoinette Spaak invite à Bruxelles Edgar Faure et Laurent Fabius. Elle se rend à Paris pour rencontrer le président de l’Assemblée nationale Jacques Chaban Delmas. Elle explique à François Mitterrand les compétences de notre parlement. Plus tard encore, elle se permettra de conseiller Jacques Chirac sur la manière de présider !
Elle conservera un excellent souvenir de ce mandat de présidente de notre assemblée, de son Secrétaire général Christian Daubie et de son administration où l’ambiance disait-elle était « excellente ».
Avec Jean Gol, elle est à l'origine du rapprochement dans les années 1990 entre le PRL et le FDF au sein de la fédération PRL-FDF-MCC, devenu ensuite le Mouvement réformateur.
Toujours engagée et active en dépit du temps qui passe, à la demande d’Elio Di Rupo, elle co-préside en 2007, avec Philippe Busquin, le Groupe Wallonie-Bruxelles, qu’avait créé la ministre-présidente Marie Arena, pour réfléchir sans tabou à un projet collectif et au fonctionnement des institutions francophones. Le Groupe se positionnera d’ailleurs en faveur du concept de la Fédération Wallonie-Bruxelles, telle que nous la connaissons aujourd’hui. A l’issue des travaux, Antoinette Spaak plaide pour que l’enseignement et la culture restent communs aux francophones. « C’est un tout », indique-t-elle à Francis Van De Woestyne.
Elle sera encore élue députée bruxelloise en 2009, alors qu’elle n’occupait sur la liste électorale qu’une modeste 68ème place, mais se retirera de la vie politique un an plus tard.
Certains d’entre nous ont eu l’occasion d’échanger avec celle qui prit parti de la retraite pour relire Proust dans la Pléiade. Mme Spaak aimait les gens, s’intéressait à eux et ne manquait jamais de répondre à toutes les sollicitations. « Et en politique », écrit-elle par ailleurs, « Je n’ai jamais fait semblant d’être convaincue quand je ne l’étais pas ». Jusqu’au bout, elle est restée attentive aux grands combats de l’Europe, aux préoccupations essentielles qui animent l’État et notre Fédération Wallonie-Bruxelles, aux valeurs qui doivent animer tout homme et femme, aux vérités absolues qui fondent la légitimité d’une démocratie.
Nous présentons aujourd’hui nos plus sincères condoléances à la famille et aux proches de Mme Antoinette Spaak, à M. le Comte Etienne Davignon, son partenaire de vie.
Je vous propose à présent de nous lever et d’observer une minute de silence.
…
Je vous remercie.